Une douleur de la jambe d’apparition rapide, une urgence diagnostique et thérapeutique.
Cette histoire est celle d’un jeune sapeur pompier volontaire âgé de 22 ans est appelé pour une intervention dans le maquis, en terrain accidenté.
Il présente au cours de l’intervention une entorse de la cheville gauche ; il est donc évacué en sautillant sur le pied droit avec l’aide d’un collègue (ceci sur un terrain accidenté, avec des chaussures type « rangers »).
Le service des urgences prend en charge sa cheville gauche, le diagnostic d’entorse talo-crurale (de la cheville) est justement posé. Ce jeune sapeur-pompier se plaint de la jambe droite (en antéro-externe), mais il n’est pas donné de suite à ce problème dans l’immédiat, d’autant plus qu’il n’existe pas de notion traumatique directe sur cette jambe droite.
48h après, le patient consulte pour cette douleur de jambe qui s’accentue, devient pulsatile, insomniante, associée à des paresthésies de plus en plus marquées.
La consultation médicale :
11h00: cliniquement petite tuméfaction palpable sur le 1/3 inférieur de la loge antéro-externe, évoquant une petite hernie musculaire, mais surtout déficit total de la flexion dorsale de la cheville et de l’extension des orteils. Déficit sensitif sur le territoire fibulaire.
11h15: échographie de principe: quelques signes indirects de souffrance musculaire, à savoir un épaississement global significatif de la loge antéro-externe, associé à un nuage hyper-échogène diffus traduisant la composante oedémateuse. On repère une discrète hernie musculaire au tiers inférieur.
11h30: mesure de la pression intra-musculaire de la loge antéro-externe de la jambe droite avec un moniteur de pression Stryker, au repos uniquement, au vu de l’impotence fonctionnelle marquée. La pression mesurée au sein de cette loge antéro-externe est excessivement élevée, à 115 mm de hg, ce qui nous confirme la forte présomption que nous avions de diagnostic de syndrôme de loge aigu. Une décompression chirurgicale en urgence est indiquée.
11h45: un bilan biologique avec dosage de CPK de principe est réalisé, même si pas indispensable pour le diagnostic, mesurées à 7 700.
14h00: l’aponévrotomie en urgence est réalisée.
à J + 21 suite décompression chirurgicale de la loge antéro-externe MID. Déficit moteur du tibial postérieur et de l’extenseur des orteils. Extenseur de l’hallux en contraction assez satisfaisante. Il est décidé de réaliser une rééducation en CRF en milieu marin.
à J + 7 semaines, marche correcte sans boiterie, problème de force des releveurs tout de même. Rééducation poursuivie en CRF. Le renforcement isocinétique peut être une solution à distance si évolution difficile.
à J + 9 semaines, la course à pied a été reprise sans problème, nette amélioration en terme de force.
A l’interrogatoire, a postériori, on retrouve tout de même une notion de vague douleur antéro-externe des 2 jambes, à la course prolongée…
Rappel SDL (syndrôme de loge aigu ou chronique):
En ce qui concerne la loge antéro-externe, il s’agit d’un problème de d’inadéquation contenu (muscle) – contenant (aponévrose), entrainant une pression excessive dans la loge musculaire, à l’effort notamment.
En effet, l’enveloppe de la loge antéro-externe n’est pas extensible à l’infini et lorsque les possibilités de distension deviennent limitées, la pression augmente, le muscle souffre et l’on observe une rabdomyolyse (nécrose musculaire) plus ou moins importante. Pour illustrer, nous pourrions imaginer un sac trop petit pour contenir un muscle qui prend trop de volume à l’effort.
L’augmentation du volume musculaire à l’exercice est physiologique, en rapport avec une hyperhémie d’effort, des troubles de l’osmolarité du secteur interstitiel…
Le potentiel de distension de l’aponévrose est déterminé par un facteur constitutionnel parfois (loge trop exigüe), acquis (micro-traumatismes répétés, accidents musculo-aponévrotiques avec tissus fibreux plus rigides.
Habituellement, la douleur est le signe d’alerte qui va imposer l’arrêt de l’exercice, la hernie musculaire la soupape de sécurité qui permet de diminuer légèrement la pression intra-musculaire.
Dans le cas de figure décrit ce jour, nous sommes face à un syndrome aigu, nécessitant une aponévrotomie large en urgence (ouverture du « sac » contenant le muscle) afin de libérer le muscle en souffrance, les lésions pouvant être rapidement irréversibles, avec des séquelles conséquentes à la marche chez ce jeune homme de 20 ans.
Le syndrôme de loge (la forme chronique en particulier) est méconnu mais très fréquent chez le sportif, alors il est intéressant de s’y pencher dès qu’il y a des signes d’alerte tels que des douleurs d’effort régulières diminuant rapidement au repos.