Jean-Luc Royer, Kinésithérapeute du Sport – Préparateur Physique
1 – Introduction
Il y a plus de quarante ans que les pathologies pubiennes ou maladie des adducteurs sont au cœur de la réflexion médicale et de la prévention des joueurs de football. Le vendredi 02 Octobre 1981, le quotidien l’Equipe publie un dossier PUBALGIE :
“Pourquoi le football ? Pourquoi maintenant ? » Les titres et sujets de réflexion sont nombreux :
-
“Attention carrefour dangereux ! » *(1)
-
Professeur Nesovic : “Plutôt pessimiste »
-
“Une médecine enfin compétitive ? »
-
“La prévention – Renforcer les abdominaux ! »
-
“Le mal de la démesure ! la pubalgie est une maladie d’hyperfonctionnement ! … »
-
Kiné Actualités du 05 Mars 1987 titre : La pubalgie « Maladie à la mode »
-
Le 28ième Congrès Médical de la FFF de Besançon en 1982 : “A l’assaut de la pubalgie ! »
Le Dr Durey, éminent spécialiste de l’époque de résumer : “ les adducteurs sont électivement employés dans les tirs de l’extérieur du pied et les tirs croisés. Là, ils jouent à plein leur rôle d’adduction. Ils sont aussi fléchisseurs de hanche. Au moment de la frappe, ce mouvement est brutalement freiné et entraîne une traction de la symphyse pubienne vers le bas. Autre mouvement entraînant une concentration microtraumatique dans la région pubienne, le tacle, qui crée une onde vibratoire convergeant vers le pubis à la rencontre des tensions abdominales. Enfin, les mouvements du footballeur impliquent de fréquents appuis sur un pied, dans lesquels les adducteurs jouent un rôle de stabilisateurs de hanche ».
2 – Analyse
Il est certainement judicieux de ne plus retenir seulement une opposition, en termes de puissance- force, entre le groupe des adducteurs et les abdominaux.
Considérer les abdominaux comme tissus de soutien ou encore d’emballage de la ceinture pelvienne face aux sollicitations des adducteurs est une option à étudier. Un mode de coopération plutôt que de compétition.
3 – Le défi de l’agilité face au renforcement
De fait, une coordination dynamique de ces deux groupes autour de la spécificité football peut répondre à cette ambition. La réflexion est dépendante de la phase de réhabilitation et de réathlétisation validée par le corps médical après un temps de rééducation effectué et abouti.
Cette coordination peut être définie comme étant la capacité d’agilité des membres inférieurs.
L’agilité, c’est par exemple, un changement de direction consécutif à un stimuli extérieur. Un changement de direction autour d’un plot, ne fait pas un meilleur joueur, mais un changement de direction en réponse à une situation spécifique, face à un défenseur, aura un impact. C’est un système de qualité qui va s’intégrer naturellement dans les programmes de proprioception dynamique. Ceci requiert une combinaison d’équilibre, de coordination psychomotrice et de réflexe. On peut également le penser comme un temps de réponse contre un adversaire en mouvement tout en recrutant lucidité et concentration.
C’est donc l’agilité qui, sans en avoir l’exclusivité, va relayer le travail de renforcement comme solution des antagonismes musculaires. Evidemment, il est plus simple de réadapter la force des muscles que l’équilibre du contrôle moteur et même si le travail de puissance-force est important ; il doit être dirigé vers l’amélioration des caractéristiques du joueur. De même, il peut être illusoire d’espérer rassembler sous une même priorité tous les groupes musculaires concernés. Jamais la « solidarité motrice » ne prévaudra sur les intérêts des chaines musculaires divergentes. Le moyen de préserver une paix musculaire peut résider dans un équilibre des forces antagonistes qui se neutraliseront.
4 – Préparation physique et agilité
L’exigence du football, qui est un jeu d’accélérations et de décélérations, requiert volume et agressivité pour exercer un pressing haut suivi de vagues offensives permanentes. Le capital musculaire du joueur est préservé par la mise en place d’une méthodologie de préparation rigoureuse. La vitesse de jeu actuelle entraine une vitesse d’exécution qui se doit d’être optimisée. Ces notions de vitesse d’exécution sont liées à la capacité d’enchainements techniques du joueur. La qualité des appuis, va déterminer l’efficacité de l’agilité. Le renforcement devient dynamique en étant associé à un geste libéré, juste, efficace.
-
Agilité et activités techniques
La coordination dynamique que propose l’agilité ne peut que renforcer les choix de l’entraineur : “ce que je recherche toujours en priorité chez un joueur, c’est la technique et l’intelligence de jeu“ *(2)
Cette priorité technique, l’agilité l’optimise par une capacité d’adaptation aux modifications des systèmes de jeu, aux types de passes effectuées, aux situations dans lesquelles le joueur va se trouver, aux nombres de duels, de schémas préférentiels.
-
Agilité et importance de la qualité à répéter des efforts explosifs
Le football, se caractérise comme une activité de type intermittent. Les joueurs effectueraient entre 1100 et 1200 actions par match dont 200 sont intensives, auxquelles nous pouvons ajouter 400 changements de direction, 200 à 400 m de course arrière. *(3)
5 – Agilité et facteurs limitants
Une limitation de l’amplitude motrice, nuit à la capacité d’agilité par altération de la fonction neuro musculaire et diminution, notamment, de l’amplitude articulaire de la hanche. Un déficit de souplesse, d’élasticité ou encore de relâchement, sont des facteurs limitant au même titre que la fatigue qui va affecter la vitesse de transmission nerveuse. D’autres facteurs limitants comme le temps de réaction et la capacité d’anticipation, doivent être étudiés et corrigés.
L’observation du comportement des joueurs relevant de pathologies du carrefour pubien, met particulièrement en avant un déficit de travail proprioceptif maximalisé ce qui confirme le manque de proprioception dynamique comme étant un facteur limitant de l’agilité. Ce qui importe, c’est de se positionner sur le développement de la qualité du pied et de la motricité d’où l’importance du socle de base pour l’appréhension de l’espace. Espace physique-Espace cérébré- Espace vécu. Il s’agit de refuser “l’altération de la cinématique et de la cinétique lors des tâches spécifiques à l’activité sportive“ *(4)
Se situer en phase de suspension, maximaliser la phase de réception. C’est à travers le schéma corporel que nous reconnaissons l’espace.
La coordination à vitesse rapide, en préparation, permet de répondre aux exigences fondamentales du football actuel : rapidité, explosivité, intensité, profondeur.
6 – Conclusion
Renoncer au renforcement des abdominaux, notamment des obliques et du transverse, n’est pas d’actualité ; mais l’apport de l’agilité, maximalisée par la proprioception dynamique de terrain devient une des priorités de cette phase de réadaptation du geste sportif. Une réathlétisation méthodique complètera l’ambition du retour à la compétition.
“Faire surgir l’objet, voilà qui est plus important que le faire signifier“ *(5) avait écrit Jean Baudrillard à propos de l’œuvre d’art. Le transposer au football pour l’admettre dans la dimension artistique, pourquoi pas?
Faire surgir l’inspiration, la création, la décision voilà qui est plus important que les faire signifier !!
*(1) Dr Durey « la maladie des adducteurs » in Sport Medecine Août1981
*(2) entraineur de football professionnel Ligue 1
*(3) A. Dellal « une saison de Préparation Physique en Football – 3ième édition 2020 »
*(4) Changement dans la cinétique et la cinématique d’une manœuvre de COD réactive après une réhabilitation réussie d’AGP. Anthony Martin Nov. 2020 KINESPORT 25
*(5) J.Baudrillard. Préface au catalogue de l’exposition de Charles Matton au Palais de Tokyo 1987